Lors de mes pérégrinations télévisuelles nocturnes je suis tombée sur un reportage traitant de la guerre des images durant la Commune de Paris : la photographie est pour la première fois entrée dans l'histoire et a participé à la guerre. (1). J'avais déjà consacré un article à Bruno Braquehais, premier vrai photo reporter de guerre, qui a pris des photos sur le vif, si l'on peut dire, car il fallait que les personnes posent le temps de prendre une photo. (2). Dans ce documentaire, il était bien sûr question de ses photos, et notamment d'une, prise lors de la chute de la colonne Vendôme et qui aurait servi à identifier le peintre Gustave Courbet et le faire condamner. Un raccourci un peu rapide, j'y reviendrais. Mais c'est vrai que les photos ont servi à la répression.
Mais tel n'est pas le sujet de cet article, mais bien plutôt une toute autre expérience, celle de l'autopsie d'un costume de l'époque, conservé au Musée de la mode, celui de l'un des otages fusillés le 24 mai 1871.
Le costume trois-pièces en lainage noir, criblé d’impacts de balles
du Président Bonjean conservé au Palais Galliera - Le Monde
"Du 14 au 16 décembre 2020, le musée reçoit au sein de ses réserves le médecin légiste, archéologue et anthropologue Philippe Charlier, entouré de ses étudiants, pour une étude associant les techniques médico-légales à l’histoire du vêtement dans le contexte historique de la Commune de Paris.
Trésor méconnu des collections du musée, l’objet a pour étude l’habit porté par le président provisoire Louis-Bernard Bonjean lors de son exécution par la Commune de Paris le 24 mai 1871. Ce costume trois-pièces en lainage noir, criblé d’impacts de balles, est l’un des rares témoignages de cette période sombre de l’histoire de Paris." Palais Galiera
L'histoire retient comme "preuve" un vêtement, les témoignages et études de l'événement sont nombreux et souvent contradictoires, comme tout ce qui touche à la Commune de Paris. Le vêtement lui, est brut, il peut témoigner sur l'homme qui l'a porté, son rang social, et sur son exécution. Beaucoup de preuves, de témoignages directs, ont été détruits ou peuvent être sujets à caution, ce costume est donc l'un des très rares témoins de ce qui a pu se passer durant la "semaine sanglante"
Tout d'abord un petit rappel des faits, connus, bruts eux aussi :
"Louis-Bernard Bonjean, porteur du costume le jour de sa mort est une victime. L’homme faisait partie des otages que la Commune détenait pour protester contre la répression extraordinairement violente des troupes versaillaises. A la fin de la semaine sanglante, le 24 mai 1871 dans les dernières heures désespérées de cette guerre civile, une partie de ces otages sont exécutés à la prison de la Roquette, Louis-Bernard Bonjean figure parmi les victimes avec l’archevêque de Paris Darboy, et d’autres hommes d’église. "radiofrance.fr/franceculture
Louis-Bernard Bonjean, né à Valence en 1804, (c'est aussi ce qui m'a interpellée, une rue, l'une des plus petites, porte son nom ) a perdu ses parents très jeune et a été élevé par un oncle érudit qui lui permis de mener à bien des études de droit, au prix de privations. Il devient jurisconsulte et se fait élire député de la Drôme. Il prend part à la révolution qui reverse Charles X, avant de devenir un républicain plus conservateur et il accède à de plus hautes fonctions en se rangeant aux côté du prince président, futur empereur. Lorsque la Commune éclate, en mars 1871; il est alors Président de la Cour de Cassation,(3) et c'est à ce titre qu'il est arrêté en avril 1871, incarcéré à la prison de Mazas, puis transféré à la Roquette le 21 mai, avec ses quo-détenus, l'archevêque de Paris et plusieurs prêtres.
Le 21 mai, les troupes de Thiers donnent l'assaut à la capitale, et toute la semaine, les combats font rage, des barricades sont dressées, qui tombent les unes après les autres, les combattants sont exécutés sur place, et la dernière barricade tombe le 28 mai. Les exécutions, les arrestations se poursuivront encore début juin. C'est dans ce contexte de guerre civile que des otages sont arrêtés, pour tenter de faire stopper la répression. Une négociation aurait même été menée avec Thiers, pour échanger l'archevêque de Paris, en vain.
Assassinat des otages de la Commune à la prison de la Roquette, photomontage d'Appert, tirage sur papier albuminé, musée Carnavalet.
Wikipedia - dans un article subtilement nommé "Crimes de la Commune"
Pour donner mon sentiment personnel, il semble bien que l'on ne puisse plus parler de "la Commune" à cette date là, et il s'agissait sans doute de combattants isolés, qui ont agi de leur propre chef. Je ne peux m'empêcher de penser à ce que l'on a appelé "l'épuration", et tout ce qui a été commis alors ne peut être imputé à la Résistance. Les otages exécutés lors de la semaine sanglante étaient pour la plupart des prêtres, parmi eux un banquier, des représentants de l'ordre anti-républicain, au yeux des insurgés. Ils seraient au nombre d'une centaine. Dans la panique provoquée par la répression sanglante menée par les troupes de Versailles, les victimes étaient bien dans les deux camps, mais bien plus nombreuses du côté des fédérés, victimes d'une répression systématique. Au delà du nombre, car il ne s'agit pas d'une compétition, c'est bien plus une question de "morale" qui s'est inscrite dans l'histoire des idées, les uns et les autres n'étant pas considérés comme des victimes selon le camp dans lequel on se range, et de plus certains plus "vertueux" que les autres.
Je n'ai pas trouvé le rapport établi après cette étonnante "autopsie"
(1) sans doute (je ne suis certaine de rien, car je l'ai pris en route)
1871 La Commune, portraits d'une révolution - Documentaire
Réalisé par Cédric Condon • Écrit par Jean-Yves Le Naour, Cédric Condon
France • 2021 • 52 minutes • Couleur et Noir & Blanc
(2) Bruno Braquehais : premier photo-reporter aux côtés des communards ICI
(3) "Lorsque éclate l'insurrection de la Commune de Paris en mars 1871, alors que quasiment tous les notables quittent ou ont déjà quitté la ville, il estime au contraire de son devoir de quitter sa résidence normande d'Orgeville (27) pour rentrer à Paris afin que l'institution judiciaire continue à fonctionner et ne pas laisser le Palais de Justice tomber aux mains des insurgés. " Généanet Un article plus que détaillé, mais pas toujours sans parti pris.
Il signale aussi que les corps ont été retrouvés puis ensevelis,
"Les obsèques de BONJEAN, dont la famille avait refusé les obsèques nationales, beaucoup plus intimes, eurent lieu à Orgeville, village de Normandie où il avait une propriété.
La cellule où Monseigneur DARBOY avait été emprisonné fut démontée et reconstruite au séminaire d'Issy-les-Moulineaux (92), et celle le Président BONJEAN fut démontée puis reconstruite à Orgeville (27), de même que purent être récupérés ses vêtements troués par les balles et entachés de sang ainsi son haut-de-forme, très abîmé, qu'il tenait à la main au moment de l'exécution, conservés au musée de la mode du Palais Galliéra à Paris."
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