« Pendant quinze jours, en février 1580, les habitants de la cité de Romans (Drôme actuelle, Dauphiné d'autrefois) se sont déguisés, masqués de toutes les manières. Ils ont dansé à perdre l'âme, joué, couru, concouru, défilé. Ils se sont défiés entre artisans et notables dans le happening quotidien du Carnaval. Un théâtre populaire et spontané opposait rue contre rue, confrérie contre confrérie. Puis, au terme d'une embuscade, montée par le juge Guérin, personnage de Série Noire, les Romanais se sont entre-tués. » (*)
Présentation de l'ouvrage qu'Emmanuel Le Roy Ladurie a consacré à l'une de ces « fureurs » qui ont agité les bourgeois, puis les paysans du Dauphiné, jusqu'aux républicains de la Drôme ( voir : »Décembre 1851 : la Drôme républicaine s'insurge contre Louis Napoléon » ICI).
Emmanuel Le Roy Ladurie Le Carnaval de Romans - De la Chandeleur au mercredi des Cendres (1579-1580) Gallimard 1979
Le cadre du carnaval de 1580 est celui d'une société hautement inégalitaire, qui oppose, non les riches et les pauvres, mais les nantis, grands propriétaires à ceux qui n'ont que leurs bras pour travailler, ou de toutes petites propriétés, et quelques outils. Mais surtout elle oppose les privilégiés, nobles et membres du clergé, et ceux qui payent pour eux, , les « taillables », membres du Tiers État. A ces rancœurs se sont ajoutés les troubles graves des guerres de religion, massacres, villes mises à sac : une raison de plus de se haïr. Les années de mauvaises récoltes, les épidémies de peste (1564, 1586), déciment la population, faisant peser plus lourd les tailles et autres taxes sur les paysans et les artisans et commerçants.
Pendant le séjour de Catherine de Médicis à Grenoble , en 1579, après Romans et Montélimar - « les députés des dix villes, appuyés par Faure, un des consuls de Grenoble, présentèrent à Catherine de Médicis, au nom du tiers-état, des remontrances au sujet des tailles dont le clergé et la noblesse l'écrasaient. La reine, craignant d'indisposer les esprits, ne voulut point prendre une résolution ; un grand nombre de catholiques se déclarèrent alors contre la cour ; les mécontents formèrent plusieurs corps sous le nom de « défendeurs de la cause commune », et la guerre ne tarda point à se rallumer, 1580 » Histoire des Villes de France, par A. Guilbert [and others].p25-26 Sur Gallica -
Pour les Ėtats Généraux de Blois 1576 – 1577, Jean de Bourg, membre de la noblesse de robe, rédige un cahier de doléance qui va dans ce sens, et se fait le porte parole des revendications du tiers état, mais il s'en prend aussi à tous ceux qui ont "manié" les deniers de la province.
Les "rebelles" de 1580 se recruteront parmi les artisans du textile, la première activité économique à Romans, avec la vigne- de l'alimentation ; ainsi que parmi les employés de la terre, qui chaque jour passaient les portes de la ville, encore enfermée dans ses remparts, pour aller travailler pour le compte des propriétaires. Romans est alors une ville moyenne, entre 6000 et 12000 habitants, se classant dans la cinquième catégorie des villes françaises, une ville sans faubourgs.
Emmanuel Le Roy Ladurie dresse ainsi le portrait de cette ville, en ce début de Renaissance, mais au beau milieu des guerres de Religion, pour tenter de comprendre le pourquoi de ce bain de sang dont les prémisses se jouent en 1579. Les nouvelles taxations mises en place par les états généraux, et ceux du Dauphiné en 1578 , vont mettre le feu aux poudres. Notamment pour lutter contre les bandes armées , comme celle du bandit Laroche, dans certains lieux les notables mettent même en place des milices armées. A Romans la corporation des drapiers crée sa milice à laquelle se joignent des paysans. Si les actions sont sporadiques, le mouvement insurrectionnel est en place. Il suffira du guet-apens ourdi par le juge royal Guérin, déjà impliqué dans la répression des Huguenots, contre Paumier, le chef du parti "adverse" des confréries de métiers pour que la fête dégénère. La répression sera terrible, à l'intérieur de la ville, puis dans les campagnes et les villes environnantes, pour se terminer à Moirans. Monsieur de Maugiron, lieutenant général du Dauphiné réprime dans le sang "La ligue des vilains" .
le carnaval de Romans hier et aujourd'hui
(*) Emmanuel Le Roy Ladurie a-t-il exagéré en parlant de tuerie ? Ludovic Viallet, enseignant chercheur à l'Université de Clermont, dans sa conférence aux Archives Départementales de la Drôme, le 14 décembre 2016, dit que oui. Si la tension dans la ville était vive, il n'y aurait pas eu de massacre. Ludovic Viallet - site UFR Histoire de Clermont
Voir aussi :
Sur le Net : Printemps 1580 : la révolte des « Vilains » en Dauphiné -http://www.lafeuillecharbinoise.com/?p=5371 Du carnaval rouge sang de Romans au massacre de Moirans
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