Les "indiennes", ces cotonnades aux couleurs vives sont l'une des caractéristiques de la Provence, elles en sont même devenu le tissu emblématique,
Chemises provençales - Souleiado
A l'origine, les motifs, si ce ne sont pas ceux que l'on voit le plus fréquemment de nos jours, sont plus directement inspirés des étoffes que l'on a commencé à importer de l'Inde, de Perse et de l'Empire Ottoman dès la fin du XVIe siècle. Au XVIIème siècle, l'aristocratie européenne adopte la mode des « indiennes »: « chafarcanis » à fond rouge ou violet et fleurs blanches, ou à fond blanc et fleurs rouges ou violettes, colorées grâce à la garance ; toiles bleues d'Alep, indigo.
Mais les « indiennes » ou « perses » sont coûteuses et une industrie européenne d'indiennage va se créer dès la moitié du XVIIème siècle pour substituer des fabrications locales aux importations, souvent dans les ports qui commercent avec l'Orient et possèdent donc tout à la fois les matières premières (toiles blanches, indigo, garance, gomme arabique), mais aussi les infrastructures techniques.
Le premier atelier est fondé à Marseille en 1648. Le port de Marseille est l'un des principaux centres d'importation des indiennes.(1). Une partie alimente le marché local mais une autre est réexpédiée, en Espagne, Europe du Nord. La concurrence avec les productions orientales ne semble pas être la seule raison de la création des ateliers en Europe et à Marseille en particulier. Olivier Raveux parle d'une période de difficulté pour le commerce marseillais et de véritable dépression dans les années 1648-1650 qui entraîne une pénurie d'indiennes de l'Empire Ottoman.
droule 22 Museon Arlaten- Arles - confectionné dans des indiennes
La ville dispose de nombreux ateliers, de tissage et de teinture ; de graveurs sur bois et de cartiers (l'industrie de la carte à jouer jouer est officiellement crée par arrêté royal en 1631) qui, les premiers se lanceront dans la fabrication des indiennes. Les premières copies sont loin d'avoir la qualité des étoffes orientales, elles sont souvent en « petit teint » et c'est la venue d'artisans arméniens (2) qui apportera la maîtrise des technologies de coloration des toiles - l'entrée des techniques et des matières premières sera facilitée par par Colbert en 1669 qui affranchit le port de Marseille qui devient la tête de pont du commerce avec le Levant.
L'industrie de l'indiennage se développe jusqu'en 1686. Louvois veut promouvoir les industries traditionnelles de la laine, du lin et de la soie et veut mettre un terme à la mode des indiennes. Les matières premières destinées à la fabrication sont touchées elles aussi par les mesures de prohibition. L'arrêté du 26 octobre 1686 interdit le commerce, la fabrication et l'usage des toiles de coton peintes ou imprimées étrangères, ainsi que celles fabriquées dans le royaume.
La révocation de l’Édit de Nantes en 1685 et la prohibition provoqueront un exode de nombre d'entrepreneurs et d'ouvriers vers la Suisse, l'Allemagne et les pays protestants. Nombres d'ateliers créés à l'étranger le seront par eux, notamment dans les pays avec qui les liens commerciaux étaient les plus forts. Mais la mode était lancée et un trafic s'instaurera à partir de l'étranger, on continue à porter des indiennes, chez soi à défaut de pouvoir sortir avec. L'interdit sera levé en 1759. L'industrie marseillaise est alors fortement concurrencée par les manufactures alsaciennes, de Bolbec, de Nantes, Rouen mais aussi de Jouy en Josas.
Indienne Wesserling - Wikipedia - de l'un des autres centres de fabrication
Les indiennes marquent profondément et durablement la tradition provençale et les motifs orientaux, les bestiaires fabuleux autour de l'arbre de vie, y croisent les motifs régionaux, les "bonnes herbes", les fruits qui représentent les cycles de la vie, les fleurs et leur symbolique (lys = pureté, rose = passion, muguet = bonheur, chrysanthème = gage de vérité...).
Bois gravés - musée Souleiado - Tarascon
Outils et techniques de reproduction :
calame pour peindre
bois gravés – le musée Souleaido en possède 40000
plaque sur rouleau par rotation : « bastringue
plaque de cuivre à partir du XVIIIe, permet plus de finesse
Au XXème siècle les traditions des indiennes sont reprises par les sociétés citées dans l'article (il faut y ajouter les Indiennes de Nîmes) , et les motifs anciens notamment sont remis au goût du jour, aux côtés des motifs plus typiquement provençaux (le cyprès...)
A Avignon les indiennes sont introduites en 1677 par le graveur Louis David. Dominique Amic ouvre sa propre manufacture en 1792 suivi par des émigrés suisses., Quinche, Breguet... (3) Les derniers indienneurs ferment en 1882-1884.
Mais la mode dépasse la seule Provence et la Drôme n'y échappe pas, une entreprise, Valdrôme s'installe à Valence en 1770. L'entreprise d'ennoblissement textile STOF (siège à La Tourette /42), acteur phare dans le textile des arts de la table, de l'ameublement et du linge de maison ; a repris les rênes de la marque Valdrôme en 2016 avec l’ambition de lui redonner ses lettres de Noblesse.
(1) Olivier Raveux- CNRS Aix en Provence - « La naissance de l'indiennage européen : l'exemple de Marseille » Un « inventaire après décès » mentionne des indiennes en 1567.
(2) en 1680 la communauté arménienne comptera environ 400 personnes, mais en 1687 le commerce de la soie leur est interdit et la communauté disparaît.
(3) Avignon, cité papale accueillera une majeure partie des indienneurs marseillais. L'un des arméniens chassés de Marseille, s'installera à Avignon et apportera avec lui les graines de la garance, il s'agit de Jean Althen (de son vrai nom Althounian) -
Autres sources - voir les légendes des photos -&
Le textile en Provence – Edisud
Sur la route du textile provençal sarah Ben et Dominique Carpentier – Collection « Les chemins de traverse » Groupe Horizon – 13420 Gemenos
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