C'est la question que pose Jean-Pierre Locci dans "Mémoires d'Industries vauclusiennes". Sans vouloir raviver la guerre du pastis, ce sont bien des Avignonnais d'adoption, Jules François Pernod et son fils Jules Félix qui après l'interdiction de l'absinthe, en 1915, élaborent une nouvelle boisson à base d'anis. Jules Félix dépose la marque "Anis Pernod" dès la fin de la guerre.
Edgar Degas rend compte dans ce tableau de la très mauvaise image qu'avait l'absinthe
Ce n'est qu'en 1932 que Paul Ricard lance le "vrai Pastis de Marseille". Il serait vain aujourd'hui que les marques Pernod et Ricard ont fusionné de relancer la guerre pour savoir qui est à l'origine de la recette de cet apéritif qui fait la gloire de la ville.
Mais c'est encore plus compliqué car il y eut aussi une rivalité sur le nom de Pernod, entre l'usine de Montfavet et celle de Pontarlier. On peut parler d'un vrai "pastis" (2).
A l'origine, non pas l'absinthe, mais l'industrie textile. Gaspard Pernod est originaire de l'Ain et s'est installé au début du XIXème siècle à Avignon en tant que teinturier en soies et indiennes. Son fils, Jules-François a suivi une formation de chimiste dans les industries lyonnaises et est revenu travailler à Avignon dans l'entreprise de garance Amic. Par son mariage, il a pu reprendre l'affaire. En 1870, il la transforme en fabrique d'absinthe, lorsque la garance est concurrencée par l'alizarine artificielle. Devant le succès remporté par cette nouvelle activité, il transfère l'usine à Montfavet. (3)
L'absinthe est une boisson élaborée à partir d'une plante vivace annuelle : Artemisia absinthium, la plante d'Artémis, variété d'armoise, qui pousse sur les sols pauvres.
La boisson, très en vogue entre 1870 et 1900, est de couleur verte, d'où son nom de "fée verte". Elle nécessite tout un rituel qui contribue sans doute à son succès : l'eau est filtrée à travers un sucre posé sur une cuiller :
L'absinthe fait la fortune de l'usine Pernod de Montfavet. Mais devant les ravages que cette boisson provoque elle finit par être interdite le 16 mars 1915. Jules-François Pernod et son fils créent une nouvelle boisson anisée au goût proche de celui de l'absinthe dont le succès est immédiat. Elle est entrée en concurrence avec la marque « Anis Pernod fils » déposée par les successeurs Pernod de Pontarlier en 1926 . La concurrence aboutira là aussi à une fusion en 1928 pour créer les établissements Pernod qui seront transférés en 1929 dans la région parisienne, malheureusement pour le Vaucluse.
L'anis Pernod prend le nom de Pastis 51 en 1954 et la rivalité avec le Pastis Ricard, jusqu'à la fusion des sociétés en 1974 sous le nom Pernod Ricard, chaque marque gardant son identité. La boisson "pastis" est aujourd'hui commercialisée par de nombreuses distilleries, avec même des "pastis à l'ancienne".
La loi sur les apéritifs à haut degré d'alcool évoluera. En 1932 libéralisation des anisés dont la teneur en sucres est déréglementée, le degré est relevé à 40°, ce qui les fait passer de statut de digestif à celui d'apéritif - c'est l'année de la création du pastis par Ricard. En 1938, ils peuvent titrer 45° et la dissolution dans l'alcool de plus d'huiles essentielles d'anis donne alors à cette boisson toute sa saveur. Un décret de 1988 autorise la présence de thuyone (principale molécule de l'huile essentielle d'absinthe, présente dans la grande et la petite absinthe) dans les boissons et l'alimentation, permet techniquement de produire à nouveau de l'absinthe en France.
Illustrations : Wikipedia
le pastis Wikipedia
NOTES :
(1) Mémoires d'Industries Vauclusiennes XIXe XXe siècles – Jean Pierre Locci – Association pour la Sauvegarde et la Promotion du Patrimoine Industriel en Vaucluse – Maison 4 de Chiffre, 26 rue des Teinturiers – 84000 AVIGNON. Imprimé sur les presses de l'imprimerie Roger Rimbaud à Cavaillon, 2004
(2)« pastis » en provençal signifie « paté » - à tartiner – et c'est donc dans les années 30 qu'il a désigné cette sorte d'anisette. En provençal : « lo pastis », « estre dins lo pastis » : être dans le pétrin.
(3) Sur l'emplacement de cette usine a été construit l'actuel centre médico-social.
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