S'il est un film "historique" devenu mythique, c'est bien celui-ci. J'avais découvert ce film à sa sortie en 1972 et je l'ai pris en pleine figure, clouée à mon siège dès les premières images totalement baroques de la descente des Andes.
Je l'ai revu sur écran lors de la sortie d'une copie neuve en 2008, lors d'une séance du "ciné-philo" au cinéma Utopia d'Avignon. La projection est suivie d'un débat dans la plus pure tradition des ciné-clubs, ici elle est toujours d'un haut niveau et permets d'enrichir sa vision du film. Le choix était ambitieux, « Aguirre la colère de Dieu » étant un film très complexe et en raison de son caractère mythique.
A l'origine : un personnage historique né dans le pays Basque espagnol et mort en Amazonie en 1561. Le film reprend la période, 1560, des noms de personnages réels, se donne un air de véritable chronique, celle d'un moine Gaspar de Carvajal, qui se révèlera cupide et intolérant. Mais ce ne sont que de fausses pistes, comme toutes les références à la Conquista. Werner Herzog est un cinéaste atypique et ses références sont variées, depuis la légende de Siegried jusqu'à Shakespeare et son Richard III. La recherche de l'Eldorado se transforme en quête du Graal, de l'impossible étoile.
Aguirre est une fiction et une « épreuve », l'expérience du tournage en conditions réelles sur le fleuve Urubamba se confond avec celle des héros, imaginée, mais réellement vécue.
Comme il l'a été justement signalé lors des débats, il faut chercher dans la manière de filmer d'Herzog pour savoir où il voulait nous emmener. Sa caméra est tantôt fixe et s'attarde sur des plans fixes, interminables : ou bien tournoyante, enfermant les personnages dans des spirales sans fin. C'est d'ailleurs le plan final du film. Enfermement dans la prédestination de son destin, inexorable, dans un éternel recommencement. La lenteur en écho est oppressante, encore plus que la nature hostile, qui s'impose par sa présence. La forêt devient une sorte de dragon vert, avec les bruits amplifiés ou le silence qui précède les mises à mort par les flèches d'indiens à peine visibles.
La mise en scène très théâtrale fait de ce récit une tragédie au sens classique du terme, chaque personnage trouve son rôle, annoncé par Pizzaro au tout début, où à l'appel de son nom, la caméra nous présente le traître, Aguirre (lui même se définira comme le traître suprême), le « bon » Don Pedro de Ursúa. qui conservera entière sa noble attitude ; le bouffon, Don Fernando de Guzman, empereur malgré lui, les hommes de main ; le choeur des indiens ; et enfin les deux femmes, figures hiératiques de la piété, Inez de Atienza, et de la pureté, Flores de Aguirre. Les femmes sont inaltérables à l'inverse des armures qui rouillent et des hommes qui finissent tous à terre (hormis Aguirre soutenu par sa folie).
Tragédie aussi la destinée, dès le départ Aguirre sait qu'il va vers l'échec, mais il sera à la taille de sa démesure. Chaque personnage est prisonnier de sa prédestination, lui plus encore. Personnage Nietzschéen, qui se transcende, il achève son rêve, celui de l'homme qui voulu être Dieu, mais finit prisonnier d'une eau plate qui n'est pas l'océan.
Aguirre est aussi un film allemand (la version originale le confirme et lui donne toute la force de la langue allemande), au romantisme idéaliste qui ne peut faire oublier les références au nazisme, que le nouveau cinéma allemand des années soixante dix tentait d'exorciser. Le personnage même d'Aguirre, blond aux yeux bleus qui déclare « Moi, la colère de Dieu, j’épouserai ma fille et fonderai la dynastie la plus pure que la terre n’aie jamais portée. » en est l'archétype.
Romantique, surréaliste, c'est aussi le film d'un acteur: Klaus Kinski, l'affiche l'annonce « et Herzog inventa Kinski ». Mégalomane, colérique, il porte tout le film de sa démarche ondoyante et son regard halluciné.
Le film ne serait pas sans lui.
Malgré toutes ces réserves sur cette "fiction", elle n'en reste pas moins fixée dans le temps et l'espace, ceux de la conquête espagnole de l'Amérique. Le film nous montre le décalage qui existait entre deux cultures, c'est un vrai saut dans le temps.
N.B. le film présente une bien meilleure qualité photographique que les exemples que j'ai choisis ne le laisse présumer.
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