C'est à travers le destin de deux femmes emblématiques à la fois de cette région et d'une période où les femmes pouvaient laisser un nom dans l'histoire, que je voudrais évoquer l'histoire si intimement mêlées de ces territoires.
Cette région c'est un peu plus que l'Ukraine actuelle, ce que l'on appelle le Rus de Kiev (1), ou Principauté de Kiev, et qui s'étendait de l'actuelle Pologne jusqu'à la Volga et de la Mer Baltique jusqu'à la Mer Noire. La période va du IXe siècle, après la prise de Kiev par les Varègues (Vikings de Suède), jusqu'au XIIIe siècle et les invasions Mongoles qui désintègrent peu à peu une principauté déjà désagrégée en plusieurs principautés.
Ce n'est qu'ensuite, du XIIIe au XVIe siècles que se constitue la Moscovie, autour de Moscou, par annexion des autres principautés.
Les deux femmes dont je parlerai ici sont Olga de Kiev, devenue Sainte Olga, et Anne de Kiev, qui elle, est devenue reine de France.
la cathédrale Sainte Sophie de Kiev conserve l'image d'Anne - la dernière - Wikipedia
Olga de Kiev était l'épouse d'Igor, fils de Rurik, l'un des ancêtres du Rus de Kiev. En 945, lorsque son époux est massacré par un peuple rebelle, elle prend les armes pour mener une expédition punitive. Elle prend ensuite le pouvoir pour assurer la régence de son fils Sviatoslav Ier. En 954, alors que son fils est en âge de prendre le pouvoir elle se fait baptiser à Constantinople, elle sera la première chrétienne de son pays. Olga est aussi la seule femme qui y exercera le pouvoir jusqu’à Catherine de Russie. Elle meurt à 82 ans en 969 et est canonisée, et elle est fêtée le 11 juillet. C'est avec son petit fils Vladimir le Saint que la foi chrétienne commence vraiment à se répandre parmi les peuples slaves.
Olga et son escorte, dans les chroniques de Jean Skylitzès, XIIIe siècle Wikipedia
C'est au tout début du XIe siècle qu'une ambassade extraordinaire parcours les deux mille kilomètres qui séparent Paris de Kiev pour venir demander la main d'Anne, descendante d'Olga et fille de Iaroslav le Sage, au nom de Henri Ier, fils de Robert le Pieux. On ne sait pas vraiment ce qui poussa le roi des Francs à aller chercher une épouse dans une contrée si lointaine (2), ni quelles furent les routes empruntées à l'aller et au retour. Mais on sait que la délégation était conduite par Roger II, évêque de Châlons, Gauthier, évêque de Meaux, et Gosselin de Chauny. On peut penser que l'escorte d'Anne soit passée par la Pologne, puis par la Bohême, peut-être près de Prague, dans l'abbaye de Sazawa dont elle rapporte la bible en Slavon qui est conservé aujourd'hui à la bibliothèque de Reims.
Le 19 mai 1051 elle épouse Henri à Reims où elle est couronnée en même temps que le roi dont elle partagera la vie errante. Leur premier enfant sera nommé Philippe, sans doute en hommage à l'apôtre Philippe, qui aurait évangélisé les Scythes, ce prénom est ainsi introduit en France. Il est sacré en 1059, à l'âge de sept ans et associé ainsi à la couronne. Lorsque Henri Ier meurt en 1060, Anne devient régente pour le jeune roi Philippe Ier, qui a aussi pour tuteur le comte Baudoin de Flandre. Dans les actes, Anne est dénommée "regina", reine. Celui de Soissons, en 1063, porte la mention "ANA PbHNA" Anna reina, sans doute autographe,
1063 c'est aussi la date de son remariage avec Raoul II de Péronne, comte de Crépy qui a répudié son épouse légitime. Cette union suscite la colère des évêques ainsi qu'une brouille passagère avec son fils Philippe Ier, et le couple est excommunié en 1064. Est-ce par dépit d'avoir été écartée par ce remariage qu'elle signe en caractères slavons de son titre de reine ? Les crises s’apaisent et après la mort de Raoul en 1074, le nom d'Anne apparait encore une fois en 1075. Son nom disparait ensuite jusqu'en 1078 où Philippe Ier mentionne la mémoire de sa mère dans un privilège au bénéfice de l'abbaye de Cluny.
Jusqu'à la Révolution, chaque année, le 5 septembre, un service était célébré en mémoire de la reine Anne par les chanoines de Saint Vincent de Senlis, abbaye qu'elle avait fondée en 1065 sur les ruines d'une ancienne église.
1 - du varègue rodslagen « le pays du gouvernail »
La principauté de Kiev - Wikipedia
« Dès le Xe siècle, les sources étrangères (papales, germaniques) désignèrent la principauté de Kiev sous le terme de Rossia, alors que les sources slaves utilisaient le mot Rous’, transcrit en grec médiéval Rhos et en arabe Rûs. Ce nom vient du vieux norrois róthr « ramer », roor « rameurs » et róðslágen « pays du gouvernail »" Varègues - Wikipedia
2 - Régine Pernoud dans "La femme au temps des cathédrales" qui m'a guidée vers ces deux destins de femmes, parle d'un moine de Cluny d'origine Polonaise et qui devient roi de Pologne sous le nom de Casimir Ier et épousé la sœur de Iaroslav. C'est peut-être grâce à lui que le roi des Francs serait entré en contact avec la famille de Iaroslav ?
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