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Les sacrifices d'enfants à Carthage mythe ou réalité ?

Une tradition dans l'inconscient collectif occidental, veut que la religion carthaginoise ait pratiqué les sacrifices d'enfants, comme une vision "romantique" de l'horreur associée à un peuple dont on avait oublié l'histoire, réécrite par ses vainqueurs. 


Cet extrait de la bande dessinée « Le Spectre de Carthage » - Jacques Martin, les aventures d'Alix – Casterman 1977 - illustre la prise de Carthage par Scipion l'Africain. L'image reprend la "tradition" de la statue du Moloch-Baal aux bras articulés, "dévorant" les enfants qu'il propulse dans le brasier.

 

Cette vision vient en ligne droite du texte de Gustave Flaubert, dans Salammbô , en 1862

Chapitre XIII. Moloch « Les Mercenaires se préparent à l'assaut ainsi que les Carthaginois, assaut qui se produit bientôt. Après quelque temps, les Carthaginois, qui subissent le siège, commencent à souffrir de la soif et de la faim. « Moloch possédait Carthage. » Salammbô, malgré les reproches de Schahabarim, ne s'en sent nullement responsable. Un soir, Hamilcar lui amène son fils de dix ans - Hannibal - qu'elle a charge de garder. Peu à peu les Barbares prennent le dessus. Les Anciens pensent que Moloch est offensé et décident de lui sacrifier des enfants, dont le fils d'Hamilcar, qui envoie un esclave à sa place. L'horrible sacrifice a lieu. » Wikipedia 

« Enfin, le grand-prêtre de Moloch passa la main gauche sous les voiles des enfants, et il leur arracha du front une mèche de cheveux qu'il jeta sur les flammes. Alors les hommes en manteaux rouges entonnèrent l'hymne sacré,

Hommage à toi, Soleil ! Roi des deux zones, créateur qui s'engendre, Père et Mère, Père et Fils, Dieu et déesse, Déesse et Dieu ! » et leur voix se perdit dans l'explosion des instruments sonnant tous à la fois, pour étouffer les cris des victimes.../...

Avant de rien entreprendre, il était bon d'essayer les bras du Dieu. De minces chaînettes partant de ses doigts gagnaient ses épaules et redescendaient par-derrière, où des hommes, tirant dessus, faisaient monter, jusqu'à hauteur de ses coudes, ses deux mains ouvertes, qui, en se rapprochant, arrivaient contre son ventre ; elles remuèrent plusieurs fois de suite, à petits coupes saccadés. Puis les instruments se turent. Le feu ronflait.

…/... Enfin, un homme qui chancelait, un homme pâle et hideux de terreur, poussa un enfant ; puis on aperçut entre les mains du colosse une petite masse noire ; elle s'enfonça dans l'ouverture ténébreuse. Les prêtres se penchèrent au bord de la grande dalle, et un chant nouveau éclata, célébrant les joies de la mort et les renaissances de l'éternité. »

 

Gustave Flaubert et les historiens furent tributaires d'un texte de Diodore de Sicile, qui évoque le sacrifice collectif de centaines d'enfants. Mais la tradition était née. L'influence de Flaubert se perpétue et le quartier de Carthage où se trouve le grand sanctuaire porte le nom de Tophet  Salammbô. Voir plus loin.


 Michelet par exemple, en 1866, dans son "Histoire de la République romaine"

Au printemps, surtout, quand le soleil , reprenant de sa force, donnait l'image et le signal d'une renaissance universelle, à Tyr, à Carthage, peut-être dans toutes villes, on dressait un bûcher, et un aigle, imitant le phénix égyptien, s'élançait de la flamme au ciel. Cette flamme était Mocloch lui-même. Ce dieu avide demandait des victimes humaines ; il aimait à embrasser des enfants de ses langues dévorantes ; et cependant des danses frénétiques, des chants dans les langues rauques de la Syrie, les coups redoublés du tambourin barbare, empêchait les parents d'entendre les cris. …/... Lorsque Agathocle assiégea Carthage, la statue de Baal, toute rouge du feu intérieur qu'on y allumait, reçut dans ses bras jusqu'à deux cents enfants et trois cents personnes qui se précipitèrent encore dans les flammes. »

Lorsqu'on mit à jour, en 1921, par hasard, un lieu d'inhumation de nourrissons, on lui donna le nom de tophet Salammbô.


Un habitant de Carthage découvre lors de fouilles clandestines, la stèle dite du « prêtre à l'enfant ».


Elle représente un homme portant dans ses bras un enfant. Des fouilles systématiques sont entreprises. D'autres stèles sont découvertes accompagnées d'urnes contenant des ossements calcinés. L'homme de la stèle est assimilé à un prêtre officiant un sacrifice, et le lieu est associé à un tophet.

Selon la définition donnée par Wikipedia, le terme de tophet est associé aux sacrifices :

« Le terme Tophet désigne la partie centrale des sanctuaires à l’air libre et lieu des sacrifices de l'Orient sémitique présent dans les religions phéniciennes, libyques ou puniques. Y sont déposées les urnes contenant les cendres (dites vases cinéraires) des enfants (jusqu'à quatre ans) ou des animaux — par substitution — ayant été sacrifiés aux dieux » 

 

Les dépouilles des enfants sont elles liées aux sacrifices ou bien est-on en présence d'un cimetière de nouveau-nés et de fétus ? 

Musée du Bardo - Wikipedia


Sabato Moscati, et d'autres, pensent que le sacrifice d'enfants est une invention, fruit de la propagande anti-carthaginoise, héritage de l'histoire écrite par les vainqueurs eux-mêmes. Les tombes des jeunes enfants, morts trop tôt, étaient exclues des nécropoles réservées aux adultes. Ils étaient offerts à la divinité après incinération, en offrande, mais pas forcément vivants.

Les études menées sur ces restes ne peuvent certifier que les enfants étaient morts ou vivants au moment de leur crémation.

Le nom même de Moloch, donné par Flaubert et depuis associé au rite des sacrifices rituels d'enfants, semble né d'une transcription du mot phénicien molk, signifiant « offrande ».

Le lieu est associé au culte des deux divinités majeures de Carthage, Tanit, la Dame de Carthage, et Ba`al-Hammôn, protecteur de la cité et garant de la pérennité. Est-il, comme le prétend Flaubert, le maître des brasiers ou bien le maître des autels à parfums, le protecteur, celui qui exauce les vœux ?




Statue de terre cuite d'époque romaine, trouvée dans les environs de Carthage et qui rassemble les éléments de la tradition iconographique punique. Musée du Bardo- Wikipedia


 La question des sacrifices d'enfants à Carthage, et ailleurs dans le monde punique, est loin d'être résolue, les positions trop partisanes, le manque de sources directes, d'indices archéologiques, ne permettent pas de trancher. Mais il existe de forts arguments en sa défaveur et le bénéfice du doute ne peut-il pas bénéficier à la mémoire d'une ville qui a eu le tort d'être opposée à Rome et que Rome s'est évertuée à détruire ?

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Source principale :

« La Légende de Carthage » Azedine Beschaouch -Découvertes Gallimard1993 - chapitre « Moloch, dieu des sacrifices ? » C'est la lecture de cet ouvrage qui a motivé cet article

et celle citée dans l'ouvrage :

 « Il sacrificio punico dei fanciulli, realtà o invenzione ? » Sabatino Moscati et Sergio Ribichini – in Accademia Nazionale dei Lincei 1987 traduit par Myriam Beschaouch

Pour les autres, suivre les liens dans l'article

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