Il est ainsi des lectures qui marquent et marqueront longtemps, ce livre là en fait partie. On a beau savoir, avoir vu des reportages, la Chine contemporaine reste mal connue, et ce n'est pas pour rien. Les archives sortent peu à peu et les témoins qui parlaient à l'époque sont aujourd'hui un peu plus écoutés. Un reportage diffusé récemment sur la chaine parlementaire sur Simon Leys, le confirme et surtout rappelle la position pro-maoïste des intellectuels français d'alors. (*)
Avec les quatre livres nous plongeons au cœur de la zone 99, un camp de "novéducation" au temps du grand Bond en avant.
« La zone 99 se situait dans la plaine centrale, à une quarantaine de kilomètres au sud du fleuve Jaune, dont la séparait une vaste étendue de sables abandonnés par les eaux au fur et à mesure de leur incessants changements de lit...
Les autorités ont exigé que j'écrive un mémorandum intitulé Des criminels, soit que je note dans leur intégralité les propos et comportements des détenus de la zone 99, qu'elles ne peuvent, elles, ni entendre ni voir. C'est la condition pour que je puisse très vite devenir un homme nouveau et rentrer chez moi. »
Celui qui écrit est un écrivain « j'avais un demi-siècle d'âge, et en sus de cinq romans-fleuves, d'une vingtaine de romans courts et d'une bonne centaine de nouvelles, j'avais encore à mon actif plusieurs recueils d'essais. » Chargé par les « autorités » de désigner des personnalités réactionnaires devant être « novéduquées », il est désigné par le groupe qu'il a lui-même réuni pour ce travail. Il devient l'écrivain, comme les autres ne seront plus que l'Érudit, le Religieux, Musique...
Et on ne perd pas seulement son identité dans la zone 99 lorsqu'on a été un intellectuel, on y perd sa dignité, et enfin la vie, lors de la grande famine.
Les "quatre livres" sont : celui de "l'Enfant du ciel", qui réécrit la Genèse, "le Vieux Lit", les mémoires de l'écrivain qui guidera les rares survivants hors du camp, "Des criminels" écriture de dénonciation forcée, à laquelle les autorités l'obligent ; et enfin le récit inachevé de l’Érudit ; les quatre livres donc, se lisent d'une traite. La langue qui reste poétique, malgré ou grâce à la traduction de Sylvie Gentil, nous entraîne et nous porte jusqu'au bout.
Éditions Piquier - 2012
(*) "Leys, l'homme qui a déshabillé Mao" Public Sénat : Voir la vidéo
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