Le massacre des Albigeois, chronique de Saint-Denis, XIVème siècle,
Londres, British Library. - Wikimedia
Une exposition qui a ouvert à Toulouse, me permets de parler d'un sujet qui me passionne depuis mes études universitaires, celui des hérésies, telles que présentées par l’Église catholique, et particulièrement celle des Albigeois du Languedoc, contre qui elle déclencha une croisade.
« Cathares ». Toulouse dans la croisade Cette exposition inédite, conçue par le Musée Saint-Raymond, présente les événements et rebondissements qui ont émaillé la croisade contre les Albigeois mais aussi la question de l’hérésie dite « cathare », autour des débats qui animent actuellement la communauté des historiens
Carreau au chevalier
Près de 300 objets sont exposés dans les deux sites qui accueillent l’exposition, le Musée Saint-Raymond et le Couvent des Jacobins : documents d’archives exceptionnels prêtés par des institutions prestigieuses telles que la Bibliothèque nationale de France ou les Archives nationales, objets archéologiques inédits, œuvres sculptées ou peintes, matériel de reconstitution historique de qualité scientifique (costumes, armement)… Les textes de l’exposition sont traduits en occitan, anglais et espagnol. Exposition présentée du 5 avril 2024 au 5 janvier 2025, au Musée Saint-Raymond et au Couvent des Jacobins.
Il faut dire que dans les années 60-70, lorsque j'avais fait un exposé, ces sujets étaient à la mode, un intérêt pour le régionalisme et tout ce qui pouvait faire front contre la pesanteur du gaullisme. A un intérêt historique réel, de redécouvrir un passé d'oppression, se sont aussi mises en place des conventions qui sont aujourd'hui nuancées par les historiens, mais aussi par les archéologues.
Le terme même de cathare, repris des écrits de Saint Augustin, et du grec Katharos, pur, remplace celui d'Albigeois jusque là utilisé, par les inquisiteurs eux-mêmes. On sait qu'eux mêmes ne se nommaient pas ainsi, et qu'ils parlaient de "bons hommes". Connus essentiellement par des écrits de leurs vainqueurs et bourreaux,
Milieu du XIIIè s. : Dessin d'un hérétique livré aux flammes (au recto, projet de bulle du pape Innocent IV sur les poursuites contre les hérétiques). Cote A.N. : AE/II/257 - Archives du Quercy - Wikipedia
La croisade
Si l'on peut s'interroger sur la réalité de ce que l'église a qualifié d'hérésie, il est certain qu'elle a appelé à la croisade en pays chrétien. Vingt années de guerre qui aboutiront à la soumission, en 1229, du Comte de Toulouse Raymond VII, devant la reine Blanche de Castille, son fils, le jeune roi Louis IX, et le représentant du pape.
En 1208, le pape Innocent III lance une croisade contre l'Occitanie. Le prétexte : l'assassinat du légat Pierre de Castelnau. Le but : éradiquer une hérésie, celle des Albigeois. Des chevaliers d'Ile de France et d'ailleurs en Europe, prennent l'habit de croisé sous la bannière de Simon de Monfort et de Louis VIII, le fils de Philippe Auguste, qui lui, n'a pas voulu s'allier à cette expédition, plus occupé à lutter contre le pouvoir de la papauté, ainsi que des puissances rivales.
A la fois guerre de conquête, puisqu'en tant que croisés, les chevaliers pouvaient revendiquer les terres des vaincus, et extermination des hérétiques, avec la création, par Innocent III de l'Inquisition pour juger, et surtout condamner ceux que l'on assimilait à cette hérésie. Elle sera confiée aux moines dominicains, ordre catholique né à Toulouse sous l’impulsion de Dominique de Guzmán en 1215.
Villes assiégées, en partie dévastées, comme ci-dessous Béziers, condamnations au bucher - voir illustration ci-dessus, les dissidents sont vaincus et l'Occitanie perd son autonomie. Elle est soumise à l'autorité de la couronne par le traité de Paris, présent lui aussi dans l'exposition
Le sac de Béziers
La ville de Béziers Archives départementales de l'Hérault Wikipedia
22 juillet 1209 : l'été est chaud et le siège devant Béziers s'annonce long et difficile car la ville est bien défendue. L'armée des croisés comprend des centaines de milliers d'hommes, chevaliers et barons, mais aussi des valets et des ribauds recrutés n'importe où et surtout n'importe comment, hommes de peu à qui l'on a promis indulgences et pardon.
Les bourgeois de Béziers exhortés pas le vicomte de Trencavel se préparent à la résistance et refusent de livrer les cathares réfugiés dans la ville.
Les ribauds installent leur campement et pour se rafraîchir se baignent dans l'Orb. Les assiégés les voyant sans armes tentent une sortie. Les ribauds se ressaisissent et contre attaquent, poursuivent les Biterrois et entrent dans la ville. (*)
La suite est racontée dans « la Croisade contre les Albigeois » commencée par Guillaume de Tulède et terminée par un poète anonyme. Écrite en occitan, elle est traduite ici par Paul Meyer:
Les croisés sont partis pour une guerre éclair et veulent faire de Béziers un exemple qui marquera les mémoires et dissuadera toute résistance de la part des autres cités. Carcassonne, qui n'était pas encore la cité retranchée qu'elle est aujourd'hui, ne résistera que quinze jours, assoiffée par cet été chaud qui tarit les puits de la ville. Narbonne préfère payer un tribut et les châteaux trop faibles se rendent. Raymond Roger est fait prisonnier et la vicomté est offerte à un chevalier qui s'était illustré lors du siège : Simon de Montfort.
Il semble bien que le mot attribué à l'abbé de Cîteaux "Tuez les tous, Dieu reconnaîtra les siens", traduise en fait l'état d'esprit des croisés, qui dans l'affolement de l'instant se sont rués sur les armes, la chanson dit "allons nous armer", pour suivre les ribauds.
La conquête allait pouvoir commencer.
Mais qui étaient ces Albigeois qui faisaient si peur à l’Église ?
Aujourd'hui il est possible de douter qu'eux-même aient eu conscience de leur déviance jusqu'à ce que le pape lance contre eux une croisade. Les rares textes "cathares" nous apprennent que leur évangile ne déviait pas de la tradition chrétienne. Seuls leurs rites étaient déviants. En quête de pureté, l'aboutissement était de parvenir à devenir des "Parfaits". A travers une vision dualiste, le monde ne pouvait être parfait, tout au contraire, et il fallait en éviter les pièges, ils allaient jusqu'à ne pas préconiser de mettre des enfants au monde, pour leur éviter d'être piégés sur Terre. Le pire pour l'Eglise, était qu'ils rejetaient les sacrements catholiques, le seul qu'il reconnaissait était le consolamentum, imposition des mains par un Parfait, ou une Parfaite, qui délivrait l'homme de ses péchés.
Il semble exagéré, au vu des recherches et des réflexions des historiens, de parler d'une église, et donc d'une éventuelle rivale, encore moins d'un danger pour l'église catholique.
Autre lieu emblématique : le castrum de Montségur Wikipedia
En 1242 l'armée des croisés, environ 6000 hommes, met le siège devant Montségur, après plusieurs tentatives qui se sont soldées par des échecs. Les assiégés résisteront onze mois. Le 1er mars 1244 Pierre Roger de Mirepoix doit négocier la reddition. Si les soldats et les civils ont la vie sauve, on sait ce qu'il advint des parfaits. Sommés de renier leur foi, ils refuseront et disposeront de quinze jours pour recevoir les derniers sacrements.
Un grand bucher fut dressé au pied de la montagne dans lequel périrent plus de 200 suppliciés.
Pour conclure, lorsque j'avais fait mes premières recherches, durant mes études, on savait déjà que la lutte contre l'hérésie n'était qu'un prétexte et que les Français étaient envieux des riches et libres régions méridionales qui refusaient les règles strictes de la féodalité et optaient pour des modèles politiques différents. Les Albigeois et leurs revendications de pureté et de liberté par rapport au culte catholique, n'ont été que des alibis. Pour nos contemporains, en tant que victimes expiatoires, ils nous semblent sympathiques et même proches. N'oublions pas que malgré une tolérance envers ceux qui ne partageaient pas leur foi, ni leur mode de vie exigeant, leurs croyance manichéenne les poussait à l’intransigeance.
Quoi qu'il en soit, la croisade a été une fracture, et des siècles de centralisme ne l'a pas fait oublier. Beaucoup de villes (dont Avignon, ou encore Valence) portent les cicatrices du passage de l'armée de Louis VIII.
A travers cette exposition,
il est question des apports de l'archéologie à la compréhension de l'histoire, là où les sources écrites sont rares, ou soumises à caution.
"Le château des comtes de Toulouse est le point fort de la défense de la ville. Cette forteresse de 40 mètres de côté est directement édifiée sur une porte romaine, au débouché de la voie antique menant à Narbonne. Elle est réaménagée à la fin du 12e siècle sous le nom de château Narbonnais (castel narbones en occitan). Sa tour maîtresse, rectangulaire, est en blocs de pierre qui lui valent son surnom de "tour blanche". Au fil du temps, la ligne de défense du château est renforcée par plusieurs fossés successifs et la création des lices.
Rasé en 1549, le château est redécouvert en 2002, par l’archéologie préventive. Jean Catalo et les archéologues de l’Inrap fouillent les ailes de la forteresse et les fossés." France Culture, "Les Cathares, archéologie d'une hérésie"
Présent aussi dans l'exposition, le manuscrit de la Canso
Extrait du manuscrit de la Canso (chanson de la croisade albigeoise), folio 148, réalisé à Toulouse, dans le premier quart du XIVe siècle. - © Bibliothèque nationale de France
La Chanson de la croisade albigeoise (aucun titre ne précède le poème dans le manuscrit original qui utilise le seul mot de cansos-canso) est un poème manuscrit de 9578 vers, écrit en langue d'oc entre 1208 et 1219 par deux auteurs différents et racontant les événements survenus dans le Languedoc depuis l'invasion du comté de Toulouse et de l'Albigeois par les croisés jusqu’à la mort de Simon de Montfort. Wikipedia
pour mémoire de l'engouement pour cet épisode violent de notre histoire :
l'émission consacrée aux Cathares par la Caméra explore le temps,
Des ouvrages, par exemple :
Montaillou village occitan - 1975 - Emmanuel Le Roy Ladurie
Bélibaste - 1982 - Henri Gougaud
à l'époque, dans les années 1970, je n'avais étudié, comme texte de référence, que l' "Histoire albigeoise" de Pierre des Vaux de Cernay, avec des études historiques pour compenser le peu de recul que ce moine pouvait avoir.
Un exemple de texte : le Rituel de Lyon,
Un Nouveau Testament suivi de rituels,
"en langue occitane, transcrits par l’historien albigeois Yvan Roustit à partir d’un manuscrit du XIII° siècle, actuellement détenu par la Bibliothèque municipale de Lyon" Editions Escourbiac.
Enfin, une série d'émission de France Culture, à propos de cette exposition, très éclairantes sur le sujet, notamment :
"Les Cathares, archéologie d’une hérésie " avec:
Laure Barthet Archéologue, directrice et conservateur du musée Saint-Raymond de Toulouse.
Jean Catalo Archéologue, ingénieur d’étude à l’Inrap, spécialiste de l’urbanisme médiéval et de la céramique pour Toulouse et sa région.
Comments