Il s'agit d'une série scientifique d'un très haut niveau : Cold Case investigations in the past : une équipe de scientifiques de l'université de Dundee, en Écosse, dirigée par une experte médico-légale tente de redonner une identité, une histoire, un visage et un nom à un squelette.
Chaque épisode nous transporte dans une époque différente et aborde des questionnements particuliers sur l'époque concernée et met l'accent sur des évènements, des pratiques, des préoccupations que nous avons souvent oubliés.
Trois des épisodes de cette série m'ont interpellée particulièrement mais je n'avais, lors de précédentes diffusions, parlé uniquement de deux des enquêtes " le chevalier de Stirling" et "l'inconnue de Londres". Un troisième, "l'enfant momifié" m'a aussi beaucoup frappée, mais son histoire est tellement sordide que je n'ai pas pu en faire un article. Il renvoie à une époque où, au nom de la science, on s'est livré à des pratiques qui frisaient la barbarie, il s'agissait là, en l’occurrence, de la dissection de cadavres qui a conduit à l'époque où l'enfant avait vécu (XVIIe) à un trafic de corps, et même à des vols d'enfants.
Parmi les corps découverts dans le château de Stirling, le plus grand d’Écosse, l'un d'entre eux retient l'attention de l'équipe de scientifiques. Un homme de grande taille,et corpulent, portant des traces de blessures, et dont le squelette montre un plus grand développement du haut du corps. Des analyses scientifiques des os, consultation des archives ainsi que des experts en histoire médiévale, l'équipe parvient à déduire que cet homme avait vécu à l'époque des guerres opposant l’Écosse et la couronne d'Angleterre, au XIIIème siècle
Parmi les conclusions qui ont mis les enquêteurs sur la piste, l'état des os qui portent les traces des combats et des séquelles de la guerre. Mais aussi de la nourriture... Et notamment la consommation de poisson de mer, importante en un lieu éloigné du rivage, mais qui était en usage parmi les chevaliers chrétiens : manger du poisson en effet, hormis durant les périodes de carême, était lié à la volonté de se démarquer de toute bestialité carnassière. Le poisson était considéré comme la nourriture de l'âme.
Un corps de femme gisait parmi les squelettes découverts, elle aurait elle aussi succombé à une blessure de guerre. Les femmes ont pris une part active à ces guerres d'indépendance, mais, au Moyen-Age elles n'avaient pas assez d'importance pour que leurs noms soient mentionnés.
La datation précise a même permis de proposer un nom à ce chevalier anglais en garnison au château de Sterling, Sir John de Strickley
Époustouflant !
Grâce à l'équipe 'l'inconnue de Londres", elle aussi a sans doute retrouvé un nom... Il s'agit d'une jeune femme dont la dépouille a été retrouvée en 1992 lors de fouilles de sauvetage dans l'ancien cimetière de Cross Bones, et conservée au Musée de Londres parmi plus d'une centaine de corps, rangés dans des boîtes en carton.
l'ancien cimetière de Cross Bones, dans le quartier du Borough, au sud de Londres, non loin du London Bridge, est devenu un lieu de mémoire.(*)
Ce cimetière fermé en 1853 était, depuis le Moyen-Âge, réservé aux femmes seules, euphémisme pour désigner les prostituées (*). L'inconnue a été retrouvée au dessus d'un empilement de cercueils plus que sommaires. Elle avait donc été enterrée peu de temps avant la fermeture de ce lieu. Elle vivait à l'époque victorienne et il ne faisait pas bon naître et vivre dans certains quartiers du Londres de cette époque présentée pourtant comme l'apogée de la modernité.
Ainsi cette jeune femme avait tout au plus 19 ans, et souffrait de la syphilis au point d'avoir été défigurée par la maladie, son crâne et tous ses os étaient rongés. Elle avait souffert de malnutrition et de graves carences alimentaires dont ses os et ses jambes arquées témoignent, et avait été intoxiquée par la pollution. Elle avait aussi été victime de pédophilie, car malgré son jeune âge, elle avait contracté la syphilis par des rapports sexuels, trois à dix ans avant sa mort. La sexualité des filles commençait à la pré-adolescence, la pédophilie était courante et certains pensaient qu'un homme pouvait guérir de la syphilis en couchant avec une vierge. Sans doute s'était-elle prostituée comme 20% des Londoniennes de l'époque. Pas facile de s'en sortir lorsqu'on était une femme seule, tout en bas de l'échelle sociale. Bien qu'elle ait été très pauvre, elle avait certainement bénéficié de traitements au mercure, qui s'ils ne guérissaient pas pouvaient soulager tout autant qu'ils empoisonnaient le corps.
Ce pourrait être cette Elizabeth Mitchell décédée sans doute de pneumonie à l'hôpital Saint Thomas, dans le service des "putois", réservé aux patients atteints de maladies vénériennes, le 15 août 1851 et inhumée dans la paroisse de St Saviour, dans le cimetière de Cross Bones.
La démarche des chercheurs de l'équipe de Dundee s'appuie sur des technologies proches de la médecine médico-légale, très en vogue dans les séries télévisées, mais aussi de découvertes récentes, notamment dans le domaine historique. Elle reflète l'intérêt des historiens actuels pour ce que l'on appelait "la petite histoire", celle qui s'intéresse aux humains et à leurs conditions de vie, leurs croyances... plutôt qu'aux seuls puissants et aux grandes dates.
Pour info, car les épisodes ne sont pas, ou plus, disponibles
(*) Entre 1991 et 1998, en raison des travaux de rénovation de ligne de métro « Jubilee » des fouilles de sauvetage mettent à jour plusieurs tombes, dont celle de « l'inconnue », une parmi d'autres. Bien qu'il soit désaffecté, la plupart des tombes sont toujours en place et en hommage aux femmes enterrées là, les grilles sont décorées de rubans, médailles portant les noms de celles qui ont pu être identifiées. Les oubliées de l'histoire ne le sont pas de la mémoire collective qui défie l'histoire officielle, mais aussi les promoteurs.
Mais aujourd'hui ce lieu de mémoire est toujours menacé, notamment par l'urbanisme du quartier, voir l'article sur "le petit journal", le média des français et francophones à l'étranger. Plusieurs informations y figurent :
Les commémorations ont lieu tous les 23 de chaque mois :
Adresse: Red Cross Way
Métro: Borough
Un site internet créé par John Constable http://www.crossbones.org.uk/
Enfin pour signer la pétition pour sauver la mémoire et créer un vrai mémorial, avec la création d'un jardin public : ICI
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