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fardoise07

Avignon 737, une bataille oubliée

Dernière mise à jour : il y a 2 jours


Charles Martel menant le siège d’Avignon Grandes Chroniques de France (XIVe siècle,

Londres, British Library, Ms Royal 16 G VI f. 118v). Wikipedia


"Notre" histoire de France n'a retenu que la date de 732, celle de la bataille de Poitiers pour fabriquer le mythe national. Or, une bataille bien plus décisive a eu lieu en 737 à Avignon, que les Francs de Charles Martel ont conquise et annexée. L'aristocratie franque prend définitivement le pays en main.

Le contexte

"Haut Moyen-Age, Avignon est une "cité-forteresse", d'aspect encore romain. C'est aussi un centre intellectuel réputé... La noblesse provençale, d'origine gallo-romaine, se dit encore de "droit romain". Cultivée et orgueilleuse, elle supporte mal la tutelle franque. C'est vraisemblablement elle qui fait appel aux Sarrasins venus d'Espagne. Ils entrent dans Arles et Avignon en 734-735. Devenue une puissante position arabe, Avignon sera reprise par Charles Martel une première fois en 737, au terme d'un siège sanglant, et une seconde fois, deux ans plus tard. La ville redevient la propriété des Francs et les "traîtres" sont sévèrement châtiés." Histoire d'Avignon sur "Avignon et Provence"


Au VIIIe siècle les Omeyades occupent la péninsule ibérique et à partir d'Al Andalus ils s'aventurent plus au nord, jusqu'aux portes de la Neustrie, à l'ouest et en Bourgogne à l'est. Si en 721 Eudes, prince d'Aquitaine, bat Al-Samh près de Toulouse, en 725 Carcasonne et Nîmes sont occupées et les Sarrasins commencent à remonter le Rhône. En 725 ils assiègent Autun et pillent l'abbaye de Luxeuil.



les campagnes des Sarrasins en France sous le califat des Omeyades - histoire islamique.wordpress - site supprimé


En 732, la date est loin d'être très certaine, Charles Martel arrête l'avancée des Sarrasins à Poitiers. "AbderRahmane al-Ghafiqi tomba au combat en défendant l’arrière garde en retrait et cette bataille est connue sous le nom de Balat ash-Shouhadah, le carré des Martyrs." 

C'est lors de ces combats que le maire du palais "gagne " son épithète car

« comme li martiaus débrise et froisse le fer et l'acier, et tous les autres métaux, aussi froissoit-il et brisoit-il par la bataille tous ses ennemis et toutes autres nations. »  Citation sur www.cosmovisions 

Devant les exactions commises par les Francs, les Provençaux du duc de Mauronte se seraient alliés aux Sarrasins. Avignon a-t-elle été conquise par les Sarrasins ou livrée, encore une fois il est difficile de trancher, les sources se contredisent. La ville est occupée en 735, comme sa voisine Arles. 


La bataille


En 737 Charles Martel met le siège devant Avignon, devenue une puissante position sarrasine.

La majorité des sources rapportent des scènes de massacre et de pillages, à Avignon, comme à Nîmes où les arènes auraient été remplies des têtes coupées, des Sarrasins ou des Provençaux, les deux, on ne sait pas. Les Francs continueront leur avancée et vont conquérir toute la Provence et la Septimanie, (Narbonnaise).


guerriers carolingiens sur horizon Provence



« de nouveau, dans le cours heureux de cette année, après avoir levé une armée, il dépêche en Provence son dit frère, avec de nombreux ducs et comtes.Quand ils furent arrivés à la ville d'Avignon, Charles, à la hâte s'y rendit, rétablit sous sa domination toute la région, jusqu'au rivage de la Méditerranée, contraignit le duc Maurontus, à chercher refuge dans des falaises impraticables, protégées par la mer. »

Charles Martel et son frère Childebrand.


Ce n'est que cent trente ans plus tard que les Sarrasins reviendront en Provence, et lanceront des raids à Aix, Marseille... à partir de la région de Freynet (farakhshah).



 et aujourd'hui ?



Lors d'une conférence donnée dans le cadre des 9e Médiévales des Carmes, Andrey Grunin,  historien russe auteur d'une thèse soutenue à l'Université d'Avignon sur les Carolingiens, a fait part d'une partie de ses conclusions sur cette période, troublée, et mal connue de la plupart d'entre nous.

 En premier lieu, il est important d'apporter la plus grande attention aux mots que nous utilisons. Andrey Grunin parle de Sarrasins,  terme employé au haut Moyen-Age plutôt que de musulmans, les mots musulmans et islam sont beaucoup plus récents ; plutôt aussi que d'arabes, il s'agissait de populations d'origines diverses, principalement berbère. Enfin il est hasardeux de parler d'occupation, tout autant que de simples raids, les sources étant très imprécises.



prisonniers Sarrasins - cathédrale d'Oloron Sainte Marie Wikipedia


Andrey Grunin a posé la question du pourquoi  de cet "oubli" de l'histoire. La seule évidence est que Poitiers est aux portes du royaume de France, il est donc concevable que cette bataille ait été privilégiée par l’histoire de "France".

"Rentrée dans la tradition historiographique et la mémoire nationale comme une confrontation décisive entre les Francs et les “Sarrasins”, la bataille de Poitiers gagne son côté mythique seulement plusieurs siècles après les événements. Repousser les envahisseurs presque à la porte du cœur du royaume et à quelques kilomètres des reliques de Tours a eu, certes, un grand impact du point de vue symbolique. Mais l’arrêt de l’armée musulmane dans le Sud semble avoir une influence considérable sur la politique franque à long terme. Ces quelques premiers éléments de réflexion pourront inciter à porter un regard nouveau sur l’importance des combats menés dans l’espace méridional durant les premières décennies du VIIIe siècle." Andrey Grunin https://hal.science/hal-02194764

S'il est vrai que l'histoire officielle que nous avons retenue est celle écrite par les Francs eux-mêmes, on peut comprendre qu'ils ne désirent pas trop parler de leur conquête musclée des terres du sud. Charles Martel est un personnage contesté. S'il est traditionnellement considéré comme le fondateur de la dynastie carolingienne, il est vrai que c'est tout d'abord un chef de guerre qui s'est en premier lieu assuré une suprématie sur ses rivaux chrétiens. Pour aller encore plus loin, sa figure, et la "victoire" de Poitiers ont été revendiquées et mises en avant par tout le courant nationaliste, exagérant le rôle du personnage en tant que fédérateur d'une France, qui n'existait pas alors, et privilégiant la place d'une victoire qui a "arrêté" les "arabes".

Voir l'article sur "Quartiers libres - Workpress.


Une "histoire" qu'il faut prendre avec beaucoup de pincettes, tant d'un côté que de l'autre. Et celle d'un modèle de société en marche, celle des guerriers qui vont se partager le pouvoir et les terres. Avis personnel.



 
  • Les publications d'Andrey Grunin


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